Publié le 31 Août 2020

Noire précieuse

Voici un premier roman, sur la diaspora ivoirienne, écrit par Asya Djoulaït et paru dans la collection Continents noires de chez Gallimard. Oumou vit seule à Paris avec sa fille Céleste. Elle vend des produits cosmétiques dans un salon de beauté afro en pensant à l'avenir de sa fille, dont la brillante scolarité l'emplit de fierté. Céleste, adolescente et donc à un moment charnière de sa vie, vacille lorsqu'elle découvre que sa mère lui ment : elle se dépigmente la peau. C'est la raison pour laquelle dans son quartier parisien, les gens l'appelle la "femme-feu" : sa peau est brûlée. En parallèle, Céleste va intégrer le célèbre et élitiste lycée Henri IV et va découvrir le Paris du Quartier Latin. C'est histoire est donc avant tout celle d'une ambivalence identitaire qui tiraille les deux femmes fortes et indépendantes de ce roman, entre leur souhait d'intégration française et leur attachement à leurs racines africaines. L'une ne souhaite plus retourner en Côte d'Ivoire, souhaite les meilleures opportunités françaises pour sa fille et cherche à s'occidentaliser en blanchissant sa peau, tout en ayant peur que sa fille se marie avec un blanc et renie ses attaches africaines. L'autre fréquente une certaine frange de la jeunesse parisienne tout en se questionnant sur son pays d'origine.

 

Au-delà de sa thématique, le grand charme de ce roman, c'est son style ! La langue intègre le parlé français populaire des ivoiriens. Ainsi, le lecteur est transporté dans le quartier métissé de Céleste et goûte aux tournures imagées et truculentes d'un français peu connu. C'est vivant et authentique ! Au point qu'il est déstabilisant d'apprendre que l'auteure n'est pas elle-même originaire d'Afrique noire. En parallèle, on constate une maîtrise d'un style bourgeois plus sophistiqué. J'ai aimé et je recommande la découverte de ce roman encore peu connu.

 

- Donc c'est quoi la liberté pour toi ?
Après avoir réfléchi quelques secondes, Céleste s'exprima avec conviction :
- C'est quand tu peux choisir tes chaînes. C'est savoir que tu fais partie d'une lignée, mais que ce n'est pas un fardeau.

Elle baissa donc la tête et se remit en marche, ralentie par des chaînes indiscernables autour de ses chevilles, qui supportaient un corps fait d'une peau trop noire que parcourait un désir rouge.

Noire en dehors et blanche en dedans parce que travailleuse et cultivée, parce qu'elle allait sortir du quartier.

Tu vas marier un Blanc et puis quoi ?! Tu vas faire la Noire de service là-bas ? Tu seras sa servante là-bas ?! Yé veux pas ça pour ma fille ! Moi-même yé souffert de ça. Noire comme toi qui es raffinée là, c’est pas leur problème ! Noire d’élite ou Noire d’égouts, tu es noire quand même ! Pour eux tu es fausse noire mais tu es noire quand même ! C’est pas la même race, tu vois ou pas ?!

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 28 Août 2020

Miss Mouche

Merci à la maison Nathan pour le partage de cet album

 

paru et repéré juste avant le confinement

 

Ce charmant album qui est donc paru juste avant le confinement présente en noir sur fond blanc, avec des touches de jaune orangé, l'histoire d'une petite mouche qui vole en zig-zag par une belle journée d'été et se retrouve alpaguée par divers volatiles qui critiquent sa façon d'avancer. Merle, Héron, Faucon... tous se permettent de donner leur avis sur la meilleure façon de voler. La petite mouche est ouverte aux conseils et essaye tant bien que mal de les appliquer. Mais décidément, aucune technique de semble lui convenir. Le petit lecteur peut s'amuser à suivre du doigt les itinéraires matérialisés par des pointillés. Au fil des rencontres, la petite mouche pleine de bonne volonté pour adapter sa façon de voler se désole de ne pas y arriver et s'énerve. Jusqu'à ce qu'elle rencontre un animal qui lui permet enfin de voler de ses propres ailes ! Et si la meilleure façon de voler, c’était la sienne ? Humour et bienveillance à proposer dès 3 ans.

Miss Mouche
Miss Mouche
Miss Mouche
Miss Mouche

Publié le 27 Août 2020

Lettre d'amour sans le dire

On m’a dit qu’au Japon, les gens qui s’aimaient ne se le déclaraient pas. Qu’on évoquait l’amour tout autour, l’état amoureux comme une chose qui dépasse les êtres, les enveloppe, les révèle ou les broie. On ne dit pas "je t’aime" mais "il y a de l’amour", comme il y a du soleil.

Après avoir beaucoup vu circuler cette première de couverture au joli bandeau sur bookstragram, je me suis laissée tentée par le dernier roman d'Amanda Sthers paru chez Grasset au mois de juin. Cette auteure m'était jusqu'alors inconnue. Tout le bien que j'ai pu lire de ce court roman s'est confirmé sous mes yeux. D'ailleurs, il a depuis gagné le Prix "Mon livre de l'été" initié par France Télévisions (article de Livres Hebdo à ce sujet par ici). Ce roman est une longue lettre adressée par Alice, professeur de lettres et future jeune grand-mère de 48 ans, à Akifumi, un masseur japonais rencontré à plusieurs reprises dans un salon de thé. Après une enfance et une adolescence traumatisante puis une vie tiède et quelque peu désincarnée, les doigts respectueux d'Akifumi la font revenir à elle et à son désir de femme. Elle s'autorise soudain à croire au bonheur. Pendant plusieurs mois, Alice prend rendez-vous au salon de thé pour se faire masser par cet homme, sans jamais lui parler de son apprentissage du japonais, entrepris par amour. Elle tait ses sentiments mais prend finalement la plume le jour où elle perd la trace de cet homme délicat. Elle lui écrit alors avec pudeur son histoire et son amour naissant. Amanda Sthers nous livre un roman délicat, aussi pudique que bavard, et nous conte l'éveil d'une femme à la sensualité.

J'ai moins eu l'impression de vivre ma vie que d'avoir été vécue par elle.

Jamais je ne m’étais fait autant masser. Nous n’avions pas beaucoup de moyens et j’ai toujours donné la priorité à d’autres choses. Le corps n’avait pas de place dans nos vies. Nous l’habitions pour nous déplacer, manger, prendre du plaisir honteusement ou recevoir des coups, mais l’idée qu’il puisse exister en soi ne faisait pas partie de mon éducation.

Je sais maintenant que le mot Ukiyo n’existe pas dans mon langage, qu’il veut dire profiter de l’instant, hors du déroulement de la vie, comme une bulle de joie. Il ordonne de savourer le moment, détaché de nos préoccupations et du poids de notre passé.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 26 Août 2020

Tout le bleu du ciel

Petitesannonces.fr : Jeune homme de 26 ans, condamné à une espérance de vie de deux ans par un Alzheimer précoce, souhaite prendre le large pour un ultime voyage. Recherche compagnon(ne) pour partager avec moi ce dernier périple.

Voici un long mais fluide roman qui nous laisse les larmes aux yeux une fois refermé. Mélissa Da Costa nous raconte l'histoire d’Émile, une jeune homme de 26 ans plutôt sûr de lui à qui l'on vient de diagnostiquer un Alzheimer précoce et d'annoncer une espérance de vie d'environ deux ans. Il décide de fuir l'hôpital, le protocole médical et l'insupportable compassion de sa famille et de ses amis. À son propre étonnement, il reçoit une réponse à son annonce. Trois jours plus tard, devant le camping-car acheté secrètement, il retrouve Joanne, une jeune femme entièrement vêtue de noir qui ne donne aucune explication sur sa présence et semble sans attache. Ainsi commence dans les montagnes pyrénéennes un voyage stupéfiant de tendresse à la rencontre de soi et de l'autre. Au fil des pages on apprend à savourer l'instant présent et à s'intéresser vraiment : aux paysages, aux gens, aux sentiments... La taciturne Joanne, qui pratique la méditation en pleine conscience, va finalement permettre à Émile de s'apaiser. Elle va lui apprendre à gérer tant bien que mal ses crises de panique. Grâce à Émile, elle aussi va guérir et avancer. Ensemble ils vont rire, pleurer, se rappeler, cicatriser. Les rares échanges superficiels du début vont laisser place à des petits riens qui relient (des herbes aromatiques à partager, un carnet de notes acheté...) pour finalement faire naître de vraies confidences (sur Laura, l'amour perdu d’Émile, sur l'histoire de Joanne et celle d'un petit garçon autiste obnubilé par la couleur bleue...) et un véritable amour. C'est plein de bons sentiments mais profondément touchant. Forcément, l'histoire se termine par la mort d’Émile. C'est triste mais aussi très beau, humain et plein d'espoir. On se sent alors chanceux d'avoir partagé avec eux ce voyage en pleine nature, au rythme des randonnées et des pauses étoilées. 

Si nous pleurons parce que le soleil n’est plus là, nos larmes nous empêcheront de voir les étoiles.

Mon père avait recopié une citation sur le mur du salon. Elle disait : "Le moment présent a un avantage sur tous les autres : il nous appartient".

Il a de la chance de faire ce voyage. Quelque part, il a de la chance de savoir qu’il va mourir très bientôt. Sans ça il n’aurait jamais pris le temps de partir, de voyager au cœur de lui-même, de voir les choses avec de nouveaux yeux.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 25 Août 2020

 

 

À la ligne : feuillets d'usine

Voici un premier roman. Le premier de mes lectures estivales. Le premier d'un auteur breton d'adoption. Son histoire. Celle d'un intellectuel, travailleur social, qui a tout quitté pour se marier et vivre en Bretagne. Ne trouvant plus de travail dans son secteur, il a dû s'inscrire en agence d'intérim et travailler en usine agro-alimentaire et en abattoir. Ses "feuillets" rédigés en rentrant de ses interminables heures de travail à l'usine, de jour comme de nuit, avant que la fatigue ne l'emporte, rendent compte de l'harassante pénibilité du travail à la chaîne. Il écrit comme il travaille : à la ligne. Il raconte sans ponctuation et pourtant avec talent. Les phrases s'enchaînent sur le même rythme saccadé des gestes maintes fois répétés. Il décrit les conditions de travail éprouvantes pour le corps et l'esprit : la cadence, la répétition, le froid, l'absurdité. Il compare l'usine tantôt à un sanctuaire, tantôt à une prison ou encore à une île. L'écriture est ciselée. On trouve du vocabulaire tel que "sacramentelle' (p. 46) ou "infatué" (p. 187). Avec simplicité sont évoqués de grands noms littéraires : Hugo, Rabelais, Perec, Apollinaire, Proust, Dumas... mais aussi des personnalités comme Trenet, Barbara, Taubira, Zidane, Chaplin... C'est en partie ce qui le sauve de l'absurdité du travail à l'usine : la culture, le beau. Et aussi la ritualisation, l'humour, la sociabilité, la promesse du repos et des retrouvailles avec ses proches. Ce texte est surprenant, poignant. En transpire tour à tour poésie, ironie, douceur, tristesse, absurdité, colère, humour, soumission, résistance... et du réalisme, toujours. À lire absolument !

 

À l'agence d'intérim on me demande quand je peux commencer
Je sors ma vanne habituelle littéraire et convenue
"Eh bien demain dès l'aube à l'heure où blanchit la campagne"
Pris au mot j'embauche le lendemain à six heures du matin

p. 12

Au fil des heures et des jours le besoin d'écrire s'incruste tenace comme une arrête dans la gorge
Non le glauque de l'usine
Mais sa paradoxale beauté

p. 12

Ce soir
Je draguerai mon épouse
Ce sera beau comme quand adolescent je séchais les cours pour aller draguer les lycéennes au joli mois de mai

p. 67

La rosée traîne encore ses gouttes
C'est presque joli
On se contente de ce qu'on a

p. 82

C'est vendredi et il pleut comme la Bretagne sait le faire [...] Je ne sais pas s'il pleut sur Nantes
Mais il pleut sur Lorient
Et
J'ai le cœur chagrin

p. 86

"Ah Dieu ! que la guerre est jolie"
Qu'il écrivait le Guillaume
Du fond de sa tranchée

Nettoyeur de tranchée
Nettoyeur d'abattoir
C'est presque tout pareil
Je me fais l'effet d'être à la guerre
Les lambeaux les morceaux l'équipement qu'il faut avoir le sang
Le sang le sang le sang

p. 127

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 21 Août 2020

Les livres olfactifs

Vous connaissez sans doute déjà les livres d'éveil texturés, avec des matières tantôt douces ou rugueuses à toucher, ou encore les livres sonores aux puces tactiles. Mais connaissez-vous les albums olfactifs ? On les appelle aussi les livres à odeurs ou livres à sentir. Ce sont le plus souvent des imagiers parfumés qui se proposent d'accompagner le tout-petit dans sa découverte du monde grâce à une approche sensorielle originale : l'odorat ! L'approche olfactive met en place un processus de mémorisation du vocabulaire complémentaire des mémoires visuelle et auditive.  L'enfant peut pointer du doigt, nommer / écouter... puis sentir. C'est surprenant et ludique, même pour le lecteur adulte. Voici les livres à odeurs actuellement édités que j'ai pu recenser. Je précise que d'autres titres ont été édités mais sont désormais indisponible, comme ceux de la collection Histoires qui chatouillent les narines de chez Fleurus.

 

 

CHEZ AUZOU :

 

  • Mon livre des odeurs et des couleurs (Il y a plusieurs titres existants, dont celui que je vous présente plus précisément ci-après, à découvrir à partir de 2 ans environ. Ils sont illustrés par Mr Iwi.)
  • Mon cherche et trouve des odeurs (Il existe plusieurs titres là aussi, qui ont le mérite pour des enfants un peu plus âgés d'être encore plus ludiques, en leur faisant chercher une correspondance à quelque chose de connu dans leur mémoire olfactive. Ils sont illustrés par M. Sorte.)
  • Le livre des odeurs qui puent (Ce n'est pas mon préféré mais j'imagine qu'il saura trouver son public...)
  • Ma première nature à sentir (À paraître en octobre 2020 !)

 

 

CHEZ TOURBILLON :

 

  • Mon grand imagier des odeurs (Il y a pour le moment cinq titres au catalogue, illustrés par Véronique Petit, pour découvrir les classiques odeurs de fruits et légumes mais aussi les surprenantes odeurs de la ville ou de la plage comme l'odeur du pain... ou du pin !)
  • Une histoire qui sent bon les saisons (Illustré par Peggy Nille en 2017 et le seul - à ma connaissance - qui ne soit pas un "simple" imagier mais une histoire illustrée et ponctuée d'odeurs d'ambiance.)

 

 

CHEZ LUDI :

 

  • Le livre des odeurs (Un petit livre en plastique du type livre de bain accompagné de pastilles odorantes à scratcher, pour découvrir les odeurs de fruits.)

 

 

Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs
Les livres olfactifs

 

Mon livre des odeurs et des couleurs : le marché est le titre que j'ai acheté en voulant me procurer un livre olfactif à la fois accessible à ma petite puce de 18 mois et à mon grand de bientôt 5 ans. Je constate que 18 mois c'est encore un peu jeune pour accrocher, contrairement aux livres sonores qui ont eu un succès fou dès sa première année. Pour autant, je suis contente d'en avoir un à disposition à la maison. Celui que j'ai pu avoir entre les mains à la médiathèque avait mal vieilli à force de frottements répétés par diverses petites mains. Car c'est là le principe : légèrement frotter l'endroit indiqué pour faire se diffuser l'odeur attachée au papier. Sur chaque double-page, un ensemble d'illustrations liées par une thématique chromatique, par exemple le blanc, présentent des articles susceptibles d'être achetés au marché : du filet de poisson, du chou-fleur, du fenouil... Sur la page de droite, un volet à soulever présente un trou par lequel respirer l'odeur de l'élément caché... avant de le révéler ! Sur la double-page blanche on trouve ainsi l'odeur de l'ail. Ce sera ensuite au tour du miel (miam !), de la fraise, de la menthe, du poulet rôti, et du lilas. Sauf que, erreur éditoriale, dans notre livre, le lilas a une odeur de lavande ! C'est une fleur violette aussi, me direz-vous... Malgré ce loupé, on adore cette lecture stimulante, originale et gourmande ! À quand l'expérience inédite d'un roman enrichit d'odeurs ?

 

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