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Publié le 13 Octobre 2022

 

Zizi Cabane

Voici ma première lecture de cette rentrée littéraire 2022 et le dernier roman en date de Bérengère Cournut, qui est arrivé à point et pour mon plus grand plaisir après mes récentes lectures de De pierre et d'os et Élise sur les chemins. Elle publie, aux éditions Le Tripode, un récit de nouveau difficilement catégorisable mais où l'on retrouve ses ingrédients fétiches : le regard d'une enfant, les thèmes de la famille, de la disparition et de la métamorphose, l'importance des paysages et des éléments naturels. On y décèle des clins d'œil, par exemple à Élise sur les chemins quand Béguin est largué par Elvire et traitée 𝑑'𝑎𝑛𝑔𝑢𝑖𝑙𝑙𝑒. De son écriture singulière, Bérengère Cournut revivifie la nature du conte en mêlant prose et poésie, à la frontière du réel. C'est ce que j'aime chez elle : qu'elle m'embarque dès les premières lignes avec symbolisme dans les voyages géographiques et intérieurs de ses personnages.

 

Dans ce dernier récit, nous sommes à l'ouest, 𝑙𝑎̀ 𝑜𝑢̀ 𝑙𝑒 𝑠𝑜𝑙𝑒𝑖𝑙 𝑏𝑟𝑖𝑙𝑙𝑒 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑜𝑛𝑔𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠, en compagnie de Zizi. Ses frères et elle se sont levés un matin et ont constaté que leur maman 𝑛'𝑒́𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑙𝑎̀. Odile, disparue aux yeux de Zizi, morte aux yeux du lecteur, laisse derrière elle son mari Ferment et leurs trois enfants Béguin, Chiffon et Zizi Cabane. Ils doivent absorber - et je choisis ce mot à dessein - l'absence d'Odile et trouver un nouvel équilibre de vie avec l'aide de Tante Jeanne qui les rejoint. Mais des phénomènes étranges les déstabilisent encore : une source apparaît dans le sous-sol de la maison, un drôle de vent se lève, un faux grand-père surgi de nulle part. Le lecteur devine l'incarnation aqueuse d'Odile à travers ses prises de parole poétiques formalisées par l'italique. Parfois, le temps d'un échange épistolaire, d'autres personnages prennent en charge la narration, nous permettant de prendre la mesure de l'imprégnation quotidienne des souvenirs liés à Odile et son absence. Ferment dit notamment : 𝐽'𝑎𝑣𝑎𝑖𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒, 𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑎 𝑑𝑖𝑠𝑝𝑎𝑟𝑢, 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠. 𝑂𝑢 𝑝𝑙𝑢𝑡𝑜̂𝑡 : 𝑠𝑎𝑛𝑠 𝑙𝑎𝑖𝑠𝑠𝑒𝑟 𝑑𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑎 𝑚𝑜𝑟𝑡, 𝑝𝑎𝑟𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝑙𝑒𝑠 𝑡𝑟𝑎𝑐𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑠𝑎 𝑣𝑖𝑒, 𝑙𝑒𝑠 𝑛𝑜̂𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑛 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑟𝑒𝑚𝑝𝑙𝑖𝑒𝑠. 𝐶𝑒 𝑠𝑜𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑒́𝑣𝑜𝑙𝑡𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝐵𝑒́𝑔𝑢𝑖𝑛, 𝑙𝑒𝑠 𝑜𝑏𝑠𝑒𝑠𝑠𝑖𝑜𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝐶𝘩𝑖𝑓𝑓𝑜𝑛, 𝑙𝑒𝑠 𝑟𝑖𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑙𝑒𝑠 𝑐𝘩𝑎𝑔𝑟𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑍𝑖𝑧𝑖... 𝐿𝑒𝑢𝑟 𝑚𝑒̀𝑟𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑒𝑛 𝑟𝑒𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑒𝑢𝑥 ; 𝑒𝑡 𝑚𝑜𝑖, 𝑗𝑒 𝑛𝑒 𝑝𝑒𝑢𝑥 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑢𝑛 𝑒́𝑡𝑒𝑟𝑛𝑒𝑙 𝑡𝑜𝑢𝑟𝑚𝑒𝑛𝑡.

 

Les saisons et les années se succèdent et accompagnent comme avec sollicitude la détresse des protagonistes : la folie désemparée du père, le courage et la douceur des frères, les questionnements de Zizi. Son surnom, dont l'explication nous est donnée rapidement, est déroutant mais aussi d'une joyeuse et puissante féminité. Il fait écho à la transformation du foyer familial opérante dans le roman. Comme dans les précédents récits de Bérengère Cournut, j'ai adoré faire sonner et décrypter les prénoms des personnages, fortement originaux et symboliquement chargés. Le prénom officiel de Zizi est révélée au lecteur à la fin du récit. Il fait référence, comme un écho, à une pierre précieuse et à l'idée de protection. Bien que j'émette une réserve sur la péripétie tragique concernant Zizi vers la fin du récit, qui dramatise le destin d'une famille inutilement et d'une façon moyennement crédible, j'ai adoré savourer la note stylistique - sucrée comme la magie de l'enfance - de l'écriture de Bérengère Cournut. En somme, elle nous dit en souriant, avec douceur, la douleur du deuil au sein d'une famille : une histoire 𝑑𝑒 𝑣𝑒𝑖𝑛𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑐𝘩𝑎𝑔𝑟𝑖𝑛𝑠 𝑞𝑢'𝑜𝑛 𝑚𝑒̂𝑙𝑒, 𝑑𝑒 𝑛𝑎𝑝𝑝𝑒𝑠, 𝑑𝑒 𝑚𝑎𝑟𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑠𝑒𝑙𝑠, 𝑑𝑒 𝑐𝘩𝑎𝑟𝑏𝑜𝑛 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖, 𝑑'𝑒𝑎𝑢𝑥 𝑝𝑟𝑜𝑓𝑜𝑛𝑑𝑒𝑠 𝑒𝑡 𝑑𝑒 𝑔𝑒𝑚𝑚𝑒𝑠.

 

 

Je m'appelais Odile, j'étais jeune
j'aimais rire et pleurer en même temps
J'avais parfois peur de la vie
et beaucoup, beaucoup d'envie

Puis il y a eu ce jour où je suis partie
Ce n'était pas volontaire
c'est venu comme un truc qui sort de terre

Plongée dans les pensées d'Odile la disparue

Pour moi, qui suis arrivée cinq ans plus tard, tout le monde avait retenu la leçon : pas de prénom auquel on ferait semblant de croire. Mon père et ma mère m'ont ramenée à la maison en m'appelant "bébé", puis ils ont attendu que ça vienne. En vérité, ça n'a pas tardé : au premier bain dans le lavabo de faïence, à hauteur d'yeux de Chiffon, mon frère a demandé : "Pourquoi il est cassé, le zizi de ma soeur ?" Maman est entrée en fureur. "Mais enfin, il n'est pas cassé ! Qu'est-ce que tu imagines, espèce d'enfant aveugle ?" Mon frère a dit : "Si, regarde, il est cassé... Il n'y a rien à tirer." Mon père a ri, Odile a pris le temps d'expliquer : "Alors les garçons. Vous avez, c'est vrai, un zizi qui peut viser, se dresser et s'affaisser dans un frisson...

Suite ci-après...

Pour vous flatter, appelons-le zizi totem. Mais les filles, voyez-vous, ont un zizi, elles aussi. Un zizi plus mystérieux... caché là, dans un pli, et que vous comprendrez un jour autrement qu'avec vos yeux. D'accord ?" Béguin ricanait un peu, mais Chiffon a dit d'un ton blasé : "Un zizi cabane, quoi..." Personne n'aurait trouvé mieux : ni plus vrai, ni plus joyeux. C'est ainsi que je suis devenue la première, la seule, la vraie : Zizi Cabane.

Avoir un zizi totem ou un zizi cabane

Ils sont maigres, ils ont des boutons, ils sentent la cigarette. Quand ils rigolent, assis sur le dossier des bancs publics, on dirait des vautours un peu niais.

Portrait d'adolescents

Quand il rit, ses pommettes remontent comme celles du Père Noël. A part ça, il est plutôt habillé en bleu.

Portrait de Marcel

Si je n'étais pas déjà liquide, je t'assure que mes enfants me chavireraient. Prends bien soin d'eux, Ferment. Moi, je vous attends.

Amour maternel

Oh, oh ! Je ne pleure pas, esquive-t-elle en souriant. J'arrose simplement les pensées que j'ai mises en terre récemment...

Cultiver son deuil

J'ai des enfants - je me souviens - J'ai un mari - je me souviens - Tous ont un jour ou l'autre dormi contre mon sein Et je sais désormais par quel moyen prolonger notre lien

Odile se souvient

Jeanne dit qu'il était malade et qu'il ne m'en a pas parlé pour ne pas m'inquiéter. C'est vraiment prendre les enfants pour des billes... Je le savais bien, qu'il était malade ! Ce n'est pas une raison pour mourir.

Zizi s'emporte

 

 

Voici deux épisodes de podcast consacrés à Zizi Cabane à écouter avant ou après votre lecture. On y parle de paysages, de maison, de disparition, de cultures animistes, d'eau qui ruisselle, de poésie et de fiction.

 

 

Zizi Cabane

Publié le 11 Mai 2022

Élise sur les chemins

𝐸́𝓁𝒾𝓈𝑒 𝓈𝓊𝓇 𝓁𝑒𝓈 𝒸𝒽𝑒𝓂𝒾𝓃𝓈 est un roman en vers librement inspiré de la vie familiale du géographe et écrivain anarchiste du XIXe siècle Élisée Reclus. Un paysage champêtre, une famille nombreuse qui vit à l'écart du monde, une femme-serpent et une tourmaline magique, voici les principaux ingrédients du récit de Bérengère Cournut. En s'inspirant du personnage d'Élisée mais en le transposant dans un récit à la frontière du réel et de l'imaginaire, Bérengère Cournut interroge notre rapport au désir, à la nature et au travail. Son récit s'apparente à un conte, dont la forme poétique peut être déconcertante, mais qui m'a enchanté.

 

Nous entrons dans le récit par la voix d'Élise, une fillette de onze ans qui se présente comme une "𝑒𝓃𝒻𝒶𝓃𝓉 𝒹𝑒𝓈 𝒶𝓇𝒷𝓇𝑒𝓈, 𝒻𝒾𝓁𝓁𝑒 𝒹𝑒 𝓁'𝑒𝒶𝓊". Elle nous présente sa famille et son mode de vie. Les nombreux enfants de cette famille ont selon leur bourru voisin "𝒹𝑒𝓈 𝓅𝓇𝑒́𝓃𝑜𝓂𝓈 𝒶̀ 𝓁𝒶 𝒸𝑜𝓃". En réalité, leur sophistication et leur poésie vaut inspiration pour de futurs enfants, jugez plutôt : Élisée, Onésime, Louise, Marie, Élise, Anna, Élie, Suzanne, Paul et Lison. Zéline, leur mère, est surnommée Féline, tandis que Jacques, leur père, est appelé Le Lion. Ils vivent isolés dans la forêt, à l'écart de la société. On ne sait pas au départ à quelle époque peut se dérouler le récit. Les fils aînés, Élisée et Onésime, de jeunes adultes, sont partis étudier l'horticulture et découvrir le vaste monde. Mais leur petite sœur Élise fait la rencontre d'une chimère inspirant plus ou moins confiance qui l'avertit que ses frères sont en danger. Cette petite femme-serpent "𝒶𝓊 𝒸𝑜𝓇𝓅𝓈 𝓃𝓊 𝑒𝓉 𝒷𝓁𝒶𝓃𝒸, 𝒶𝓊𝓍 𝒸𝒽𝑒𝓋𝑒𝓊𝓍 𝒹𝑒 𝒻𝓁𝒶𝓂𝓂𝑒𝓈" craint qu'Élisée soit "𝓇𝑒𝓉𝑒𝓃𝓊 𝓅𝓇𝒾𝓈𝑜𝓃𝓃𝒾𝑒𝓇 𝓅𝒶𝓇 𝒪𝓃𝒹𝒾𝓃𝑒, 𝑀𝑒́𝓁𝓊𝓈𝒾𝓃𝑒 𝑜𝓊 𝓊𝓃𝑒 𝒶𝓃𝑔𝓊𝒾𝓁𝓁𝑒". Elle l'incite à partir à leur rencontre pour les défendre contre ses dangereuses cousines et lui confie une pierre magique : un éclat de tourmaline qui "𝒹𝒾𝒻𝒻𝓊𝓈𝑒 𝒹𝑒𝓈 𝓉𝑒𝒾𝓃𝓉𝑒𝓈 𝓇𝑜𝓈𝑒𝓈 𝑒𝓉 𝓋𝑒𝓇𝓉𝑒𝓈" et qui "𝑔𝓇𝑜𝓃𝒹𝑒". La Vouivre la prévient : "𝐿𝒶 𝓉𝑜𝓊𝓇𝓂𝒶𝓁𝒾𝓃𝑒 𝓉𝑒 𝓈𝓈𝓈𝓈𝑒𝓇𝓋𝒾𝓇𝒶 𝓉𝓇𝑜𝒾𝓈 𝒻𝑜𝒾𝓈" après quoi elle s'enflammera. Après concertation entre sœurs, Élise part donc à la rencontre de ses deux grands frères. Elle descend de sa colline et marche quelques temps. Le récit, intemporel au départ, s'ancre dans l'époque contemporaine avec des indices de modernité à son arrivée dans un village (elle y entend alors des bruits de mobylette et de guitare électrique). Elle constate qu'une partie du territoire et de ses hommes est abimé par l'industrialisation et l'exploitation de la terre. Cela contraste avec ses habitudes de vie qui sont au plus près de la nature. Elle maîtrise en effet tout un vocabulaire que Bérengère Cournut se fait un plaisir de nous partager : 𝒶𝓃𝒸𝑜𝓁𝒾𝑒, 𝓅𝑜𝓁𝓁𝒾𝓃𝒾𝓈𝒶𝓉𝑒𝓊𝓇𝓈, 𝑔𝓁𝓎𝒸𝒾𝓃𝑒𝓈, 𝑔𝓇𝒶𝓂𝒾𝓃𝑒́𝑒𝓈, 𝒸𝑜𝓇𝑜𝓁𝓁𝑒𝓈, 𝓅𝒾𝓈𝓉𝒾𝓁𝓈, 𝑒́𝓉𝒶𝓂𝒾𝓃𝑒𝓈, 𝓈𝓅𝑜𝓇𝑒𝓈 𝑜𝓊 𝑒𝓃𝒸𝑜𝓇𝑒 𝒻𝓁𝑒́𝑜𝓁𝑒𝓈. Les valeurs de liberté et d'amour familial sont le fil rouge de ce roman d'apprentissage. Sont aussi évoqués : l'anarchisme (p. 139), l'homosexualité, la jalousie, l'écologie, l'immigration, la transmission.

 

À la fois chant d'amour et critique sociale, Bérengère Cournut nous propose un récit onirique plein de fraîcheur et de créatures merveilleuses : la vouivre ou femme-serpent anxieuse, Mélusine la chanteuse, Ondine la baigneuse et Ophélie la danseuse. Je garde en tête ce récit car je n'en ai pas encore toutes les clés d'interprétation. Il me semble qu'il y est question du pouvoir de séduction féminin. J'ai en tout cas passé un bon moment en compagnie de l'écriture sautillante, joyeuse et poétique de Bérengère Cournut et vous encourage à la découvrir.

 

"- Ondine a une voix haut perchée et crisssstalline
Des cheveux fins qui lui tombent aux chevilles
Et surtout un affreux rire de petite fille
En outre, cette garcce adore miroiter
Sous les branches des peupliers
- D'accord, mais quel mal fait-elle aux garçons ?
- Aucun... Elle les rend jusssste cons"
J'aimerais bien dire à la Vouivre que pour inoculer la connerie
Elle s'y connaît aussi
Mais je choisis une autre stratégie [...]

Je recueille une pierre
De la taille d'une musaraigne
Dans le creux de ma main ouverte
Elle diffuse des teintes roses et vertes
"Dis donc... c'est une pierre pastèque ?
- Cccce que tu tiens là, me dit la Vouivre
Cccc'est un éclat de tourmaline
Avec ça, tu feras tomber Mélusine
Tu méduseras Ondine
Tu conssssumeras les anguilles
- Est-elle donc magique ?
- Comme toute les pierres
Elle vient du fond de la Terre
Elle a la vie longue
Et tout au fond d'elle
Quelque chose gronde..."

Va, va, me dit-elle. Ils délirent tous comme ça un temps
Puis se réveillent un matin en criant : Maman ! [...]
Toi, en attendant, tu descends dans la combe
Tu longes le torrent, tu empruntes la rivière
Et tu anéantis au passage toutes les créatures
Qui traînent leurs nageoires, leurs cheveux de sorcière
Tu zigouilles les rêves de serpent, les fantasmes d'anguilles -
Tout ce qui ressemble à une illusion de fille - d'accord ?

Mon père dit que les seules lois valables sont celles qui président à la croissance de ses salades.

Ca vient du club derrière le bar
Me dit la femme qui m'a nourrie
- Du club ? Un club de quoi ?
- Bah, un club... une boîte, si tu veux !
- Une boîte ? Mais pour ranger quoi ?
La femme rigole : "Des jeunes comme toi !"

Je le sais maintenant : pour s'orienter les rêves sont grands.

Élise sur les chemins

Publié le 30 Août 2021

Maison-tanière

Je reprends l'écriture après de belles vacances d'été. La lecture du recueil de poésie dont je vais brièvement vous parler ici date de juin dernier. Elle aurait peut-être d'ailleurs été adaptée à une fin de vacances : à la fois chaleureuse et mélancolique. Il s'agit ici de poèmes écrits chaque jour à partir de l'écoute d'un disque vinyle et de sa mise en scène photographique. L'autrice est comme recluse dans une maison prêtée par un couple d'amis, une première fois en 2017 puis une deuxième fois en 2019 suite au succès de son premier roman. C'est une sorte de journal de bord qui parle de tout et de rien et allie en douceur poésie, photographie et musique. Dans la deuxième partie, elle fait parler les murs et les plafonds. Ils lui inspirent des vers libres dans lesquels se racontent l'absence, la solitude, le manque, l'amour, les petits bonheurs, le besoin de se centrer. On éprouve à notre tour une certaine solitude mi-apaisante mi-triste. Ses mots diffusent un certain vague à l'âme. J'ai apprécié certains passages. Je suis passée à côté de bien d'autres. Je n'ai trouvé aucun intérêt aux photographies. Il était difficile de faire tomber les préjugés construits par la lecture de son roman. Mais cette fois-ci... c'était mieux.

 

un vrai dimanche cette fois
la cloche de l’église le marché les fruits les légumes
le petit café de onze heures en terrasse
des invités invités à déjeuner dans le jardin
des miettes qui font une constellation
sur la nappe tachée de lumière
un bébé des chapeaux de paille peut-être une sieste
et même au loin le bruit d’un cirque
un dimanche bourgeois
je caresse l’idée de ne pas
revenir

il n'y a que toi pour faire ça
entrer dans une maison endormie où personne ne t'attend
à six heures du matin
et te glisser nue contre moi nue
laisser mes mains te caresser
mes mains qui n'en croient pas leurs yeux
je n'écoute que d'une oreille la voix du roi que tu détrônes
c'est toi la reine la reine de cœur
il n'y a que toi pour faire ça
la vie aussi rock'n'roll

Ici pas de silence
la maison est plus vivante que moi
elle est plus vigoureuse plus affairée
elle m'entoure
elle me veille
moi qui garde le lit les lits les livres
elle me soigne
comme une mère
comme une mère comme un père
[...]
la maison me protège
elle me borde le soir
elle me caresse le front le matin

Publié le 30 Juin 2021

Faire défiler le carrousel
Faire défiler le carrousel
Faire défiler le carrousel
Faire défiler le carrousel
Faire défiler le carrousel
Faire défiler le carrousel

Faire défiler le carrousel

😕 Je suis un oiseau de la ville de Delphine Jaboeuf, Caroline Aufort et Élodie Mandray est un album jeunesse documentaire de grand format sur les oiseaux des villes, du plus remarquable au plus commun. Il permet de les reconnaître, les observer, de mémoriser leur chant et leurs particularités. Nous n'avons pas été particulièrement séduits à la maison. Peut-être, en vrac, parce que : le format est imposant et difficilement manipulable, les illustrations sont rébarbatives, décrypter les chants est compliqué. Un album qui ne correspond pas forcément aux bas âges de mes enfants mais qui pourrait en séduire d'autres. Je remercie tout de même les éditions Hélium pour cet envoi.

 

😕 Retour vers l'antiquité de Delphine Chedru est un livre-jeu de grand format. Le chevalier Courage et la Princesse Attaque sont réunis pour un voyage dans le temps direction l’Antiquité. Ils sont dirigés dans leur périple par les choix faits par le lecteur au fil du livre, et traversent ainsi les civilisations grecque, égyptienne romaine, etc. Le principe ludique est intéressant mais autant le dire sans détour : l'indication d'âge de l'éditeur (à partir de 5 ans) ne me semble pas du tout approprié ! Le contexte historique et certains jeux d'observation sont hors de portée des plus jeunes et ne sont abordables aisément qu'à partir de 7 ou 8 ans. Un album qui, de nouveau, ne correspond pas forcément aux bas âges de mes enfants mais qui pourrait en séduire d'autres. Je remercie tout de même les éditions Hélium pour cet envoi.

 

🙂 Montagnes de Marcos Navarro et Mia Cassany est un album jeunesse documentaire de grand format sur de célèbres montagnes de seize régions du monde. C'est l'occasion d'évoquer la géographie, la faune et la flore d'autres pays comme le Pérou ou le Japon. Chaque double page présente un paysage à la biodiversité détaillée dans lequel on peut s'amuser à observer et compter des animaux tels que l'ours, le lama ou le saro à cornes. Du volcan Arenal au Mont Blanc en passant par le Kilimandjaro, on se régal d'illustrations chatoyantes et d'informations à portée des jeunes enfants à partir de 5 ou 6 ans environ. Je remercie les éditions Nathan pour cet envoi.

 

😐 L'artiste contemporain de Nathalie Heinich et Benoît Feroumont est une bande dessinée sociologique de petit format sur la figure de l'artiste contemporain : son positionnement, sa carrière, sa rémunération. C'est lisible et enrichissant sur le sujet, même si je pensais en apprendre plus sur l'art contemporain en général plutôt que sur le statut de l'artiste.

 

😐 La colline que nous gravissons d'Amanda Gorman est la retranscription du discours The hill we climb fait par la jeune poétesse afro-américaine lors de l'investiture du Président Joe Biden en janvier 2021. C'est à la fois consensuel, facile d'accès et bien écrit. Et comme la poésie, dit-on, a le pouvoir d'adoucir les mœurs, je vous laisse sur une citation de ce long discours poétique.

 

Si nous voulons être dignes de notre époque,
nous devons vaincre
Non par la lame de l'épée, mais grâce aux ponts que nous avons construits.
Telle est la clairière promise,
La colline que nous gravissons, si tant est que nous en ayons le courage :
Car être américain est bien plus qu'une fierté reçue en héritage,
C'est le passé dans lequel nous nous inscrivons,
et la façon dont nous le réparons.

Publié le 5 Février 2021

Le dérèglement joyeux de la métrique amoureuse

Renarde phosphorescente déguisée en rêve
Montagne russe et rusée
Ton corps est un parc à t'aime
J'ai pris le fast-pass éternel
A l'exact seconde de notre premier coeur-ambolage.

Voici un des trois premiers recueils de poèmes paru dans la nouvelle collection Iconopop des éditions de L'Iconoclaste, dirigée par Cécile Coulon (poétesse et romancière) et Alexandre Bord (libraire). Avec pour vocation de proposer des textes "brefs, intimes et percutants" et de sortir la poésie française de la confidentialité, ces recueils fraîchement contemporains proposent des poèmes à lire, dire et écouter. Dans Le dérèglement de la métrique amoureuse Mathias Malzieu parle de son amour et de son désir pour sa nouvelle compagne et "𝓅𝓁𝓊𝓈-𝓆𝓊𝑒-𝓂𝓊𝓈𝑒" Daria Nelson, artiste plasticienne, qui répond à ses poèmes par des collages. On y retrouve la magie et les références de l'écriture de Mathias Malzieu, qui s'emploie à chasser le banal de son quotidien. Ainsi, il fait se rencontrer les fantômes de Boris Vian, Serge Gainsbourg et Alain Bashung tout en nous parlant de courses, de vaisselle et de confinement. J'ai apprécié retrouver la douce fantaisie de Mathias Malzieu. En revanche, j'ai déploré quelques images grivoises superflues. Ajoutées à sa tendance à l'autocentrisme, c'est venu ternir mon sentiment vis-à-vis de l'œuvre. Pour autant, le mélange de collages, échanges de sms, textes en vers et en prose est exaltant et nous fait passer un bon moment à rêver et à imaginer des techniques pour draguer une "𝒻𝑒́𝑒 𝑒́𝓁𝑒𝒸𝓉𝓇𝒾𝒸𝒾𝓉𝑒́", s'y confiner et transformer son "𝑔𝓇𝒾𝓈 𝑒𝓃 𝑒́𝒸𝓁𝒶𝓉 𝒹𝑒 𝒷𝓁𝑒𝓊". Avec Le dérèglement de la métrique amoureuse Mathias Malzieu offre à Daria Nelson une sérénade et à leurs lecteurs l'histoire d'un coup de foudre "𝓆𝓊𝒶𝓃𝒹 𝓉𝑜𝓊𝓉 𝑒𝓈𝓉 𝓈𝓊𝓇𝓅𝓇𝒾𝓈𝑒 𝑒𝓉 𝓂𝑒́𝓉𝒶𝓂𝑜𝓇𝓅𝒽𝑜𝓈𝑒 [𝑒𝓉 𝓆𝓊𝑒] 𝓁𝑒 𝒸𝑜𝓇𝓅𝓈 𝓇𝑒𝒹𝑒𝓋𝒾𝑒𝓃𝓉 𝓊𝓃 𝓅𝒶𝓇𝒸 𝒹'𝒶𝓉𝓉𝓇𝒶𝒸𝓉𝒾𝑜𝓃𝓈".

 

Le dérèglement joyeux de la métrique amoureuse
Le dérèglement joyeux de la métrique amoureuse

Publié le 26 Mars 2020

Écrire un poème, c'est découper en soi un morceau de silence
trempé de honte et d'inquiétude, puis on le fait sécher
sur une branche longue ou sur un fil tendu
entre deux maisons hautes,
le vent souffle dessus, le soleil l'entortille
et quand il est bien sec on l'offre à ceux qui savent
qu'un poète est à la fois un vieillard et une jeune fille.

Noir volcan

Romancière et poétesse primée (éditée chez Le Castor Astral à l'instar de Thomas Vinau), la jeune Cécile Coulon au blond visage d'ange et à la voix grave nous parle de sa terre natale, l'Auvergne, de coulées de lave, d'amour, de rupture, de manque, de solitude, de nature, de mort, de vie. C'est noir, vert, mouillé, parfois rude. Une poésie du quotidien et de l'intimité triste. C'est beau, presque organique. Assez mélancolique. Cécile Coulon offre des poèmes narratifs à la métrique moderne et libre, peignant des tableaux à partir de son vécu et de ses contemplations de paysages volcaniques. Elle défend une volonté de prise de recul, de douceur et même d'improductivité. Elle intitule ses poèmes "Tendrement", "Voix douce", "La douceur"... Elle dit "Je gronde" mais aussi ne "Rien dire" et "Apprendre à tomber". Bref, faire "De mon mieux" pour "épingler des étoiles au plafond des jours tristes".

 

Je pense que sang, morve, salive, cyprine,
glaires et sueur, je pense que croûtes, ongles,
miasmes et placenta font partie de ma propre vie.
Sans toutes ces choses qui vous ont tiré une grimace
de dégoût,
nous ne serions pas là.

Nous parlons de notre propre vie
car nous voulons qu'elle soit étincelante,
que son parfum soit enivrant
et que ces jardins impressionnent les visiteurs.
Mais il y a des rayures sur les carreaux,
une vieille odeur de rance en fin de nez,
et des feuilles mortes dans les allées.

Et ça ne fait rien.

Pour avoir une intelligence il faut d'abord se taire.

Interview dans Boomerang sur France Inter en novembre 2018