Publié le 29 Septembre 2020

Fille

Voici ma troisième lecture de la rentrée littéraire (après Broadway de Fabrice Caro et Mon père, ma mère, mes tremblements de terre de Julien Dufresne-Lamy). Elle m'aura permise de découvrir Camille Laurens qui m'était jusqu'ici inconnue. J'en ressors un peu déboussolée. Ce récit est déstabilisant de féminisme et d'analyse psychique. Il s'agit de l'histoire de Laurence Barraqué, de sa naissance en 1959 à l'émancipation sexuelle de sa propre fille Alice. Dans cette autofiction sur l'identité féminine, qui navigue de l'enfance à la maternité, Camille Laurens parle avec gravité, s'en empêcher des notes d'humour, de ce que signifie de naître fille - de n'être que fille - et de devenir ensuite mère d'une fille.

 

J'ai été séduite d'emblée par le ton des premières pages mettant en scène la naissance de Laurence. Entre tendresse et rire - jaune parfois ! - le tableau est posé. Son père, grossier personnage de la bourgeoisie rouennaise, attendait avec ferveur un garçon ; c'est "encore" une fille. Après sa sœur aînée Claude, dont le prénom traduisait déjà l'espoir déçu, vient le choix du prénom de ce deuxième enfant : un passage consternant de drôlerie. Ainsi arrive Laurence, qui n'aura de cesse de se battre pour exister pleinement en tant que personne à part entière et pas seulement comme "la fille de", "la sœur de" ou "l'épouse de".

 

Non, pas possible, Juliette c'est le pendant de Roméo, enfin, le pendant, si on peut dire, ah ah ! Juliette c'est le degré zéro du zizi, c'est l'attente de ce qu'elle n'est pas, de ce qu'elle n'a pas, c'est suffixe de fille à vie, c'est fillette, minette, c'est choupette, Juliette c'est le diminutif fait fille, la Julie éternellement diminuée, la vigie du balcon, la rime pauvre pour poète amer, Roméo le héros y brille en creux par son absence.

Tu n'es pas seulement une fille, tu es encore une fille. Tu suis une fille. Ta sœur (tu vas bientôt le comprendre), ta sœur est née avant toi - c'est toi qui, en naissant, lui donnes ce nom de sœur, c'est toi qui vous baptises toutes deux de cet autre nom que fille, de ce nom de sœurs (elle n'en veut pas, ni toi ni personne).

Tu découvres ta famille. À l'oreille, puis à l’œil, au toucher. Avant tout, il y a maman. Maman, c'est le premier mot que tu apprends et c'est un nom de fille. Si tu étais un garçon, ce serait le même, tu ânonnerais maman tout pareil - papa vient après, c'est prouvé. Garçon, fille, tous aiment d'abord maman. L'amour est une fille, à la base. Les sceptiques prétendent que si c'est le premier mot, c'est seulement parce qu'il est le plus facile à prononcer. Mmmmm, font naturellement les lèvres qui cherchent le sein. [...] D'autre part, maman est tout le temps là. Tu cries, elle arrive. Tu as faim, son sein apparaît. [...] Tu notes aussi que la voix de maman est plus douce et plus tendre, elle dit bisous, coucou, chérie, lolo, elle chantonne tous ces mots qui t’endorment.

Un syllogisme s'imprime dans les prémices de ton cerveau : l'amour, c'est être là. Les filles sont là. Donc les filles sont l'amour. Ta sœur toutefois fait exception à la règle. Elle porte des robes, a une voix de crécelle, mais elle n'est pas souvent là et quand elle l'est, tu ne te sens pas en sécurité. Il n'est donc pas certain que ta sœur soit une fille. À vérifier."

 

Par la suite cependant, j'ai été envahie d'un certain malaise à la lecture de passages implacables : l'abus sexuel d'un grand-oncle pédophile, la découverte de la masturbation, l'agression plus ou moins avortée de certains garçons, la mort de son fils nouveau-né... Tout en étant consciente de l'importance de propos circonstanciés pour amplifier la portée clairement militante du récit, j'ai trouvé que c'était parfois trop. Trop étouffant. Trop sombre. Écœurant. Sans doute parce que le statut des hommes est systématiquement négatif. Aucun ne mérite vraiment notre empathie, de l'oncle abject au bête gynécologue en passant par le mari absent. Est-ce que la cause féministe doit forcément se construire en opposition à la gente masculine ? Je ne le crois pas. Une once de lumière dans la figure de l'ancien petit-ami aurait méritée d'être amplifiée. Ceci dit, les figures féminines (grand-mère, mère, soeur...) sont loin d'être parfaites également.

 

Bon, en définitive, poursuit le père, ce n’est pas compliqué, résumons-nous : il suffit d’être sages et d’obéir à votre père. Les filles ont leurs règles et elles suivent les règles, c’est tout.

J'abritais un fœtus et un fantôme. J'étais moitié berceau, moitié cercueil.

Tu es chez toi, dans la rue ou l’autobus, seule ou entourée, tu t’agenouilles pour ramasser quelque chose ou rattacher la bride d’une chaussure et là, sans prière, sans pensée, sans rien, un ange passe, et c’est lui, Tristan, cet absent-là – ton garçon qui fait son tour pour rester encore dans ton cœur.

 

Ce qui fait que je garde tout de même une impression positive de ce roman c'est la thématique de la maternité. J'ai trouvé certains passages très justes, touchants sans être auréolants. J'ai également apprécié - bien que cela doit contribuer à l'impression déstabilisante laissée par le roman - le jeu sur la prise en charge de la narration. C'est tantôt le je, le tu, ou le elle qui est utilisé. Les mots, intimes, sont également choisis avec justesse et parfois difficiles à entendre. Il y a de multiples interprétations psychologiques du langage et des faits. Bien que cela puisse paraître assez tiré par les cheveux parfois, c'est éclairant. Enfin, j'ai trouvé fou de croiser ici une Alice qui fait écho au roman de Julien Dufresne-Lamy et un Tristan qui rappelle celui de Fabrice Caro. Comme un poing levé nous rappelant tout ce que nos consœurs ont pu vivre avant nous et ce que nous pouvons vivre encore, le roman de Camille Laurens me restera probablement longtemps en tête.

 

Alice me regarde.
"Non, ne demande pas à ta maman. Réponds-moi, toi. Pourquoi veux-tu être un garçon ?"
Elle lève le menton, hausse les épaules jusqu'aux oreilles et les laisse retomber en soupirant.
"Parce que... moi j'ai envie, dit-elle.
- Mais oui, Alice ! s'écrie le médecin d'un ton approbateur, tu as raison : toi, tu es en vie."

Je suis précoce, comme fille, oui, ou plutôt, précoce comme une fille : je parle mieux que je ne bouge, j'écoute mieux que je ne cours, je préfère jouer avec les mots qu'à chat perché. Il paraît que la langue est notre privilège, à nous qui apprenons si tôt à limiter notre corps. La parole est notre 'Nautilus', elle a ses abysses.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 24 Septembre 2020

Inspiration automnale

𝒱𝑜𝒾𝒸𝒾 𝓊𝓃 𝓅𝑒𝓉𝒾𝓉 𝒷𝒾𝓁𝒶𝓃 𝓁𝑒𝒸𝓉𝓊𝓇𝑒 𝒹𝑒 𝒸𝑒𝓈 𝒹𝑒𝓇𝓃𝒾𝑒̀𝓇𝑒𝓈 𝓈𝑒𝓂𝒶𝒾𝓃𝑒𝓈

𝑒𝓉 𝓁𝒶 𝓁𝒾𝓈𝓉𝑒 𝒹𝑒 𝓂𝑒𝓈 𝑒𝓃𝓋𝒾𝑒𝓈 𝓁𝒾𝓉𝓉𝑒́𝓇𝒶𝒾𝓇𝑒𝓈 𝒶𝓊𝓉𝑜𝓂𝓃𝒶𝓁𝑒𝓈

 

Après mes lectures confinées et mes lectures estivales j'ai lu Ripeur de Jeff Sourdin pour faire écho au roman de Joseph Ponthus À la ligne : feuillets d'usine. J'ai commencé le deuxième tome de la série young adult Collectif Black bone et la relecture du roman anglo-canadien Anne de Green Gables. J'ai également lu des albums jeunesse comme 99 tomates et une patate de Delphine Chedru. Je me plonge maintenant dans les romans fraîchement arrivés au lycée ! Pour poursuivre mon tour d'horizon de la rentrée littéraire - commencé avec Broadway de Fabrice Caro et Mon père, ma mère, mes tremblements de terre de Julien Dufresne-Lamy, je pense lire Fille de Camille Laurens, Liv Maria de Julia Kerninon, Les déviantes de Capucine Delattre ou encore Bénie soit Sixitine de Maylis Adhémar. Thématique féminine donc ! J'ai aussi sous la main des romans plus ou moins anciens comme Le cerbère blanc de Pierre Raufast (dont j'avais bien aimé La fractale des raviolis), Écrire en deuxième division de Jeff Sourdin, Feel good de Thomas Gunzig ou encore Debout-payé de Gauz. Nous verrons ce que le temps nouvellement pluvieux m'inspire au fil des semaines.

 

ℰ𝓉 𝓅𝑜𝓊𝓇 𝓋𝑜𝓊𝓈 𝒸̧𝒶 𝒹𝑜𝓃𝓃𝑒 𝓆𝓊𝑜𝒾, 𝒸𝑒𝓉𝓉𝑒 𝓇𝑒𝓃𝓉𝓇𝑒́𝑒 𝓁𝒾𝓉𝓉𝑒́𝓇𝒶𝒾𝓇𝑒 ?

 

Inspiration automnale

Publié le 23 Septembre 2020

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre

"J'ai tellement hâte, si vous saviez."
J’ai entendu la phrase résonner dans mon ventre puis j’ai regardé la pendule, le couloir blanc, ma mère défigurée, et en moi une petite voix apeurée s’est mise à chuchoter.
Heure de la mort de mon père :
14 h 54.

Il se hissait dans le top 3 de mes envies de la rentrée littéraire 2020 : lui et son titre assonant et rose, lui et son bandeau séduisant véhiculant l'idée d'une enfance heureuse mais perdue, lui et sa pastille prometteuse "Par l'auteur du Grand Prix des blogueurs 2019". J'ai ainsi découvert Julien Dufresne-Lamy par le deuxième volet de son diptyque consacré à la transidentité. Le premier, paru et récompensé l'an dernier, s'intitule Jolis jolis monstres. Le dernier né nous parle d'une famille au cœur d'un tremblement de terre émotionnel. Plus exactement, c'est Charlie, à travers son prisme d'adolescent, qui nous parle de lui et de ses parents. Dès le premier chapitre on prend de plein fouet la difficulté pour Charlie de traverser un furieux et silencieux tumulte : son père entre au bloc opératoire pour renaître. À sa sortie, elle s'appellera Alice. Dans la salle d'attente, où se déroulera la quasi totalité du récit, l'adolescent de 15 ans patiente aux côtés de sa mère. Durant ce temps suspendu, Charlie se remémore et cherche à comprendre les deux dernières années d'une vie de famille bouleversée. Il fait le récit d'un changement intime qui redéfinit la norme sociale et nécessite un titanesque travail d'acceptation de l'autre. Et quel autre ! Son père, son référent, son "ancrage" (p. 27). Ce père leur révèle, à sa mère et lui, lors de vacances en Vendée, sa vérité :

 

 

En bon scientifique, mon père nous avait employé les termes normatifs. Dysphorie de genre. Transidentité. Trouble de l'identité de genre. Non-congruence de genre. Ma mère n'y comprenant rien, mon père était passé au plan B.
"Je suis une femme. À l'intérieur, une vraie. Ce n'est vraiment pas grave. Je t'aime. Je vous aime. Mais je n'ai jamais été un homme."
Ma mère avait pleuré à petite voix.
Non , je recommence.
Elle avait pleuré bruyamment et longtemps.

Pendant les quatre heures d'opération nécessaires pour que son père se transforme définitivement en Alice, Charlie égrène les minutes et les souvenirs : le choc de l'annonce, le rejet, l'acceptation, le soutien plus ou moins mesuré... Car, bien évidement, le chemin familial parcouru a été chaotique. Lorsque la transformation de son père a commencé, Charlie a tenu un carnet de bord pour consigner ses changements physiques et comportementaux. À coups de pilules, gel transdermique, épilation des sourcils, enfilage d'escarpins et visite chez l'orthophoniste pour apprendre à moduler la gravité de sa voix, son père est petit à petit devenu une autre. Outre les effets physiques de l'hormonothérapie, les répercussions intimes, relationnelles et sociales du changement de genre vont profondément chambouler Charlie et sa mère. Isolement, déscolarisation, dépression, agressivité vont toutefois laisser place à un amour vibrant et une brutale tendresse. L'écriture actuelle, dynamique et empathique se met avec justesse au service du narrateur. Charlie est un adolescent d'une intelligence et d'une ouverture d'esprit remarquable. On ne peut s'empêcher au fil des pages de se demander : et moi, comment aurais-je réagi à sa place ? C'est d’ailleurs peut-être là mon seul bémol : sa compagne et son fils font finalement preuve d'une acceptation et d'une bienveillance assez exemplaire. Est-ce réaliste ? De plus, sous-couvert de prôner la plus grande tolérance, sont balayées des problématiques très questionnantes. Pour autant, le récit de Julien Dufresne-Lamy m’a séduite et a le mérite de faire se déplacer notre regard. Comme il le fait dire à son personnage :

Il faut accepter de ne pas comprendre les choses mais comprendre qu'elles existent.

C'est un immense raffut, beau et interminable, que j'entends parfaitement. Je lutte, j'ouvre grand les oreilles. Je dis oui au vacarme, je suis là pour lui, pour mon père et tout son fracas.

J'oublie de dire merci. Au lieu de ça, je pense à Alice et à ma mère immobile dans ce lit. Je pense à hier, aux glissements de terrain, quand le sol lâche à cause des argiles qui frottent. [...] Je pense aux avalanches et aux sturzstrom, à la chaleur qui perce et aux fontes des glaces qui baignent. C'est insensé, n'est-ce pas ? Pas tant que ça. Ça veut seulement dire que sur la chaise jaune je pense à mon père, ma mère et à tous nos tremblements de terre.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 21 Septembre 2020

Ripeur

Ce premier roman de Jeff Sourdin, peu connu, est paru en 2010. Je l'ai ouvert sur les conseils d'une collègue, en écho à ma lecture du livre de Joseph Ponthus À la ligne : feuilles d'usine. Il y a en effet des similitudes à pointer du doigt : un narrateur se retrouve modeste ouvrier un peu malgré lui, on y questionne la valeur du travail, on y évoque ce qui fait qu'on dépasse les rudes conditions physiques au quotidien, les manières de trouver de la beauté en toutes choses, etc.

 

Entre manque d'ambition et désillusions, Dimitri décroche de ses études de sociologie en faculté et se retrouve à 27 ans embauché comme ripeur - c'est-à-dire éboueur - dans un village mayennais. Engoncé dans une routine simple et rassurante, il revient sur ce qu'il l'a amené à exercer ce métier et se demande s'il peut espérer mieux. Ramasser les poubelles est un travail fatiguant et déplaisant. Pourtant, Dimitri décrit son quotidien avec une certaine tendresse : son contact avec la nuit puis les premières lueurs du jour, sa traversée des villes et villages encore endormis, sa complicité avec ses collègues quelque peu paternalistes, ses habitudes au café du coin... Il évoque la dextérité, la logique et la concentration nécessaires à l'accomplissement des tâches requises. Un jour il rencontre Marie, une nouvelle salariée de la médiathèque. Il lui propose d'aller boire un verre. Malgré la honte qu'il éprouve à formuler son activité professionnelle, une relation amoureuse naîtra. Sera-t-elle l'élément déclencheur qui lui permettra d'évoluer ?

 

On sent incontestablement dans ce roman un travail sur la langue et les sonorités mais qui s'avère assez inégal au fil des pages. Un premier roman imparfait mais prometteur dont le thème original et traité avec sensibilité aura su me séduire.

 

Nuit humide. Parole engourdie, moral déclinant, esprit ramolli. Je pense deux heures encore et nous serons au chaud, deux jours encore et nous serons au repos. Mais à combien d'années encore dois-je penser, avant la fin de ce boulot ?

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 17 Septembre 2020

Broadway

Pour commencer à honorer la liste de mes envies de la rentrée littéraire 2020, j'ai lu le dernier roman en date de Fabrice Caro. J'avais beaucoup aimé Le discours, d'ailleurs en cours d'adaptation au cinéma. Je me réjouissais donc de retrouver la plume cynique et tendre de ce gentil trublion, par ailleurs connu pour ses bandes dessinées.

 

Une femme, deux enfants, un emploi de bureau, une maison dans un lotissement où s'organisent des apéritifs sympas comme tout et la perspective du paddle à Biarritz avec un couple d'amis l'été prochain... Axel pourrait être heureux, mais fait le constat que rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré. Il s'était rêvé scintillant dans une comédie musicale à la Broadway, il se retrouve dans un gala de danse de fin d'année foireux. Et s'il était temps pour Axel de tout quitter et de partir dès ce soir à Buenos Aires ?

 

Le déclencheur de la remise en question existentielle de ce bon père de famille c'est la réception de la lettre du Programme national de dépistage du cancer colorectal, envoyé automatiquement à chaque homme passé 50 ans. Sauf qu'Axel n'en a que 46. Deuxième épisode troublant pour lui : se retrouver convoqué dans le bureau du proviseur pour un dessin de son fils Tristan mettant en scène une partie de jambes en l'air entre ses professeurs Mme Guiraud et M. Charlier. Sa femme le somme d'avoir une discussion père-fils : il s'en estime totalement incapable. Comme si cela ne suffisait pas, sa fille est accablée par son premier chagrin d'amour. Axel est en proie à la désillusion et s'ennuie. À partir du moment où il reçoit cette fameuse enveloppe, elle devient une véritable obsession qui servira de fil rouge au récit. Entre pathétiques déconvenues et cogitations émerge un humour plein de finesse. Axel est malgré lui un anti-héros hilarant et attachant. On a l'impression de retrouver Adrien (Le discours) et ses questions existentielles 15 ans après. Le dernier roman de Fabrice Caro est à lire pour relativiser un éventuel coup de morosité et se dire qu'il ne tient qu'à nous d'enfiler nos claquettes pour vivre de façon aussi enjouée qu'à Broadway !

 

Rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré, rien ne se passe jamais comme on l'avait prévu, le résultat est toujours à des années-lumière de ce qu'on avait projeté, nous sommes tous dans une comédie musicale de spectacle de fin d'année, dans un Broadway un peu raté, un peu bancal, on se rêvait brillants, scintillants, emportés, et on se roule les uns sur les autres, et nos coudes dans nos bouches et nos cuisses entremêlées et nos diadèmes qui tombent sur nos yeux, et on s'extrait de son corps, on se regarde, impuissants et résignés, et on se dit : c'est donc ça la réalité. Tout est foireux par essence, mais on continue de se persuader qu'atteindre son but est la règle et non l'exception.

Être un bon père consiste-t-il à trouver merveilleux un spectacle au seul prétexte que sa fille en fait partie ou bien à réussir à se retenir de rire ?

Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d'amis n'apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c'était l'idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j'arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l'effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu'il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j'avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s'étaient vus confirmées [...]

Ces derniers temps, quand on me demande quel âge ont mes enfants, j'ai une réponse toute trouvée : 14-18, comme la guerre. Je suis très fier de ma trouvaille et la place d'autant plus fréquemment que je sais son obsolescence programmée, je ne dispose plus que de quelques mois pour l'user à la corde, conscient que 15-19, comme à la guerre fonctionnera moins bien, on ne va pas se mentir.

Un jour à table, je lui avais demandé Tu n’as pas envie de mettre des posters dans ta chambre ? Et il m’avait regardé comme si je parlais une autre langue, Des… posters ? Et j’avais compris à son regard que je venais de prononcer une phrase qui aurait pu s’apparenter à Tu n’as pas envie d’aller à l’école en calèche ? Ou bien Tu veux encore un peu de baies pour terminer ton mammouth ?

On s'épuise beaucoup plus vite à quarante six ans bientôt cinquante qu'à quarante six ans tout court.

Rédigé par Nota Bene

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Publié le 14 Septembre 2020

Merci aux éditions Hélium pour le partage de cet album

 

qui sort ce mercredi en librairie

 

 

99 tomates et une patate

Voici un grand livre-jeu cartonné dont chaque double-page propose une thématique graphique et la recherche d'un intrus. Le jeune lecteur est par exemple invité à trouver une pomme de pin au milieu de 99 feuilles d'arbres toutes différentes les unes des autres. Dans un deuxième temps, on lui propose de répondre à des devinettes supplémentaires : une façon de dialoguer avec l'adulte et d'apprendre à observer et à compter. Ainsi, sur la page des feuilles mortes, on se demande à quelle saison ont été ramassées ces feuilles et laquelle semble avoir été grignotée par une chenille. Parfois, c'est un peu plus complexe : il convient de repérer des formes, des couleurs, des motifs, et surtout de les compter. Pas toujours évident de savoir dénombrer jusqu'à 20 ou plus en maternelle. On peut y jouer presque seul ou à plusieurs. Je dis "presque" car pour être réellement autonome un petit lecteur de 4 ou 5 ans aurait eu besoin d'être guidé par la page de gauche avec l'illustration de l’intrus à trouver sur la page de droite. Pour finir, il faut aussi retrouver la patate qui s'est cachée quelque part dans le livre ! Heureusement, les réponses sont consultables à la fin du livre... mais chut ! Mieux vaut ne pas le dire tout de suite. C'est un livre plein de peps qui permet de s'amuser en variant les univers à chaque page : on observe tour à tour les poissons, les panneaux de signalisation, les avions, les chats, les tomates, les gâteaux, etc. Un chouette ouvrage de nouveau signé Delphine Chedru.

 

Pour en voir plus, rendez-vous sur Instagram

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